Enfin à Johto... je venais de débarquer à Oliville dans la matinée, après une semaine de naviguée harassante sur ce ferry humain. Entre Unys et les autres régions humaines connues, il y a un grand fossé. Je n'en perdis pas de temps, ne trouvant que peu d'intérêt à rester dans cette ville humaine côtière, à part admirer le phare quelques minutes, visiblement alimenté par un pokémon. Cette région semble... beaucoup moins "technologique" qu'Unys, ma région natale.

De toute évidence, je préférais aller sur les routes. Rester trop longtemps déguisé sous ma forme "humaine" allait me fatiguer, surtout que le Soleil tapait fort par ici. Me renseignant avec des panonceaux, je vis que je me dirigeais vers la ville de Rosalia, très portée sur les traditions régionales. Après quelques minutes de marche, je brisais mon illusion humaine pour retrouver ma véritable apparence et bondir dans les arbres en bordure de route. Je ne souhaiterais pas croiser la griffe avec un dresseur si tôt. Surtout que je vois très mal mes rares semblables présents dans cette région. Je risquerais d'attirer la foudre de collectionneurs psychotiques. Foutus humains...

Bondissant dans les arbres avec aisance, discrétion et silence, j'étais bien caché par l'obscurité des feuillages. Sortant rapidement la tête après un bon moment de voyage arboricole, je vis une très grande tour au loin d'un style architectural que je ne connaissais absolument pas. Preuve de la diversité humaine... et de l'éloignement de ma contrée.

Le Soleil venait de se coucher quand j'arrivai au poste frontière de la ville humaine. Beaucoup plus modeste que ceux d'Unys, sans grande technologie ni modernité... on aurait dit, selon moi, que je venais de faire un bond dans le passé. Et d'ici, je ne voyais nul bâtiment imposant s'élever, à part la grande tour de tout à l'heure... et une autre, plus proche, mais bien plus... petite et abîmée. Elle semblait calcinée depuis longtemps.

Bondissant par dessus le poste d'une ample et puissante impulsion des pattes, d'au moins une vingtaine de mètres, je me réceptionna avec peu de bruit, me déplaçant à quatre pattes sur les vieux pavés de cette ville humaine au caractère ancien et différent. Il n'y avait pas un Chacripan dans les rues, la nuit, on dirait. Nul besoin de me déguiser. Mais je restais alerte, prêt à changer d'apparence via une illusion si un humain se présentait. Les sens aiguisés, l'oreille affûtée, l'oeil vif. Justement, un humain se pointa au détour d'une maison en bois blanc. En moins de temps qu'il n'en faut pour un Ronflex de s'endormir, je pris mon illusion humaine, avec ma longue et précieuse crinière inchangée, mais très "chic" selon certains humains.

L'humain déambulant était un jeune d'une vingtaine d'années on dirait. Et il semblait soul comme une barrique. Je l'évitais proprement et continuant ma route, je vis la tour calcinée. Je m'y dirigeais calmement, m'assurant qu'aucun humain ne me regardait, reprenant ma véritable apparence une fois encore, sous la lueur de la Lune. Lisant le petit panneau tout proche... T-tour... C-c-cendrée...? Tour Cendrée ? Elle portait bien son nom, tiens ! Calcinée par un incendie... quelle ironie. Bondissant au sommet de ce qu'il en restait, me hissant sur une patte arrière en équilibre, j'admirais la superbe vue nocturne que me procurait ce point de vue.

Mais soudain, un aboiement semblable à un éclair déchirant les cieux parvint à mes oreilles qui bourdonnaient. Baissant le regard, je vis dans les méandres... un imposant pokémon foudre. Et pas n'importe lequel ! Il s'agissait de Raikou ! Un des légendaires de la région ! Il devait m'avoir senti, puisque sa menace devait m'être adressée. Si je me présentais à lui tel quel, ne connaissant sans doute pas mon espèce, il me sera hostile. Alors j'eus une belle mais risquée idée : me faire passer pour son confrère Suicune. Risqué, mais au moins je n'allais pas me faire foudroyer sur place.

Un halo sombre et pourpre m'entoura, pour très rapidement que je paraisse en Suicune à ses yeux. Je malaxais et manipulais déjà les sens de Raikou, avant même qu'il me voie. Je pense pouvoir durer ainsi, mais pas éternellement.

Plongeant gracieusement dans le trou béant de la toiture de la tour brulée, je me réceptionna -presque- en silence sur le plancher qui grinça légèrement, à quelques mètres de Raikou. Prenant un regard fermé sur Raikou, je manipulais celui-ci de façon à faire coïncider ma voix au mieux avec celle de Suicune, même si je ne connaissais pas exactement cette dernière.

Confrère... pourquoi erres-tu ici...? Je sens ton esprit s'égarer.... par quelle folie ton âme se perd-t-elle donc de cette manière...?

Raikou était sur le qui-vive, surtout depuis ses quelques déboires en compagnie d’humains, alors au cœur d’une zone délabrée d’une ville, il frisait la paranoïa… Le large félin électrique renifla l’air mais ne perçu aucune odeur inquiétante pour autant. Il s’éloigna de son petit promontoire précaire, presque au dessus du vide, pour se rapprocher de la source du bruit qu’il avait détecté plus tôt. Un bruissement de feuillage, un craquement, un glissement… Le gardien suivait les ténèbres du regard, plissant ses yeux photosensibles.

Soudain, il se sentit un peu désorienté, à peine quelques secondes quand il devenait la cible involontaire de l’illusion du Polymorfox, mais ça lui suffit à le prendre sous son charme. Il secoua la tête légèrement, trébuchant un peu alors qu’une ombre se découpait dans l’espace laissé par l’incendie ayant ravagé la toiture. La forme se précisa à mesure qu’elle entrait dans le champ de vision du smilodon de foudre. Et s’il s’était attendu à beaucoup de situations, ennemi ou ami, humaine ou Pokémon, ce qu’il vit le surprit au-delà du possible. Suicune ! Il était la volonté du Vent du nord, aussi libre et agile qu’une brise printanière, aussi froid qu’un blizzard quand il le fallait, et aussi l’un des deux ‘frères’ de Raikou. Le fauve jaune se sentit défaillir de rencontrer si soudainement l’un des êtres qu’il respectait et aimait le plus sur toute la création de Arceus… Il resta bête et muet de stupeur quand la bête bleue s’approcha et lui parla, d’un ton un peu moqueur au premier abord.

L’incarnation de la foudre se recula sans s’en rendre compte. Depuis qu’il avait perdu la mémoire de son passé, tout ce qui lui restait était le besoin de se rassembler et de retrouver le Titan qui lui avait redonné la vie… Il releva finalement la tête et posa son regard dans l’œil unique de Suicune qui le toisait d’un côté, l’autre baignant dans les ombres de la tour en ruine… Errant ? Egaré ? Folie ? Il était percé à jour. Il faillit chuter par le trou dans le plancher mais se ressaisit avant de frapper le sol d’une patte comme pour se réveiller.

« Je… Tu… J’erre… Je m’égare oui… Mais il n’y a nulle folie en moi car je poursuis ma mission… Ta venue en ces lieux serait-elle providentielle ? Nous ne nous sommes pas revu depuis le jour où ce garçon nous a réveillés de notre sommeil de pierre. Où es-tu parti ? Pourquoi aller si loin ? Mon âme ne se perd pas… Je recherche notre seigneur. Je veux retrouver Lugia et reprendre notre veille. Mon sang de Gardien bouillonne à l’idée que je ne fasse pas ce que mon cœur désire. Toi, que fais-tu ? As-tu trouvé un endroit à protéger ? As-tu vu notre frère Enteï ? As-tu trouvé Lugia ? »

Il semblait perplexe mais aussi très heureux de revoir le magnifique protecteur du vent et des eaux douces… Il commençait un peu à se relaxer, laissant diminuer son niveau de stresse alors qu’il approchait, essayant de mieux voir son interlocuteur malgré le manque de luminosité.

Visiblement, mon subterfuge fonctionnait à merveille. Il me dévoila plus précisément ses ressentis plus que ceux que j'avais pu deviner. Ce n'est pas tous les jours que je peux tirer les Aspicots du museau à un légendaire.

Non, ma venue n'est pas providentielle. Je suis là... tout à fait par hasard.

Le jour où le garçon l'a réveillé...? Selon les légendes locales -merci Internet-, ils auraient péri dans les flammes de cette tour, maintenant que j'y pense. Ensuite, le légendaire Ho-oh les auraient ressuscités. J'ignore comme ils sont devenus statues de pierre comme il le dit, mais il semble... quelque peu vague. Aurait-il oublié son propre passé ? Dans ce cas, peut-être devrais-je essayer... "d'aider" sa mémoire avec une petite vision du dit évènement... avec une illusion, bien entendu. Générer ça pour une seule personne est relativement aisé. Il suffit de me montrer inspiré et imaginatif, je dois déclencher un déclic. La vision de la scène doit être assez marquante pour ça.

Entei ? Lugia ? Et bien... oui et non. Et qu'en est-il de Ho-oh. Tu sais... celui qui t'a ramené à la vie... ton débiteur. Avec ses cendres contenant ses immenses pouvoirs de guérison...

Me tournant bien face à lui, lui révélant mon plein visage, mes yeux luirent un court instant de violet... avant que la scène change instantanément pour nous deux. Nous "étions" toujours au même endroit... mais des flammes se développaient de nulle part tout autour de nous, dans la tour. Comme si nous avions fait un bond dans le passé. Rapidement, nous avions l'impression d'être dans un véritable et épais incendie, celui-là même étant censé avoir ravagée cette tour. Celui-là dans lequel selon les légendes, Entei, Suicune et Raikou ont péri avant d'être remis chez les vivants par Ho-oh.

Nous sommes traqués. Tous autant que nous sommes. Des humains au coeur aussi noir que la nuit. Qu'en sais-je d'Entei...? Peut-être est-il déjà l'un des leurs... tu n'es pas si sain d'esprit. Ca se sent. Qui te dit que certaines choses que tu vois ne sont en fait... tout simplement pas réelles ? Et si ton esprit se jouait de toi jour après jour, te bercant d'illusions d'un monde meilleur ? De par la nature que tu possèdes, il te faudra faire des choix, et en accepter les conséquences... le choix, nous l'avons toujours. Même Lugia. Simplement, certains sont bien moins évidents que d'autres... ou alors cachés par certains sentiments.

Les flammes s'évanouirent après un instant à le fixer. Et je venais de me souvenir que... ma cicatrice à l'oeil gauche est toujours visible, même sous un déguisement. Un simple détail indélébile à mes talents risque de me trahir... sauf si Raikou est assez crédule.

Raikou s’arrêta à quelques foulées de Suicune et secoua la tête doucement avant de faire ce qui pouvait ressembler à une sorte de sourire sur sa face féline. Il répondit d’une voix douce au ton léger, comme s’il aurait pu chanter à cause d’un cœur allégé par des retrouvailles.

« Le hasard fait parfois bien les choses, mais peut-être n‘est-ce que la volonté d’une force qui nous dépasse ? »

Il ronronna alors qu’il ne voulait qu’une chose, sentir l’odeur de Suicune et passer son museau dans sa crinière en signe d’affection, comme un frère passant ses bras autour d’un frère perdu depuis longtemps. Il ne put pas continuer dans sa démarche car les paroles du félin bleu le stoppèrent net dans son approche. Il pencha la tête sur le côté, l’incompréhension se peignant sur son faciès animal. Il cligna des yeux avant de répéter.

« Oui, Enteï, notre dernier frère, le grondement des volcans, le seigneur de la flamme tellurique, le troisième gardien ! Tu n’es pas claire, as-tu retrouvé notre frère oui ou non ? » Il semblait inquiet et sa voix ce fit plus inquiète encore quand il demanda sombrement. « Est-il arrivé quelque chose à Enteï ? »

Il recula d’un pas sous la surprise quand il entendit les propos sur Ho-oh, il ne se souvenait pas du rôle de l’oiseau légendaire aux milles couleurs. Il secoua nerveusement la tête, comme s’il était fortement perturbé par quelque chose. Avaient-ils tous hérités de souvenirs imparfaits ? De mémoires différentes ?

« De quoi parles-tu ? C’est Lugia notre sauveur… Je le sais… » Mais sa voix tremblotante montrait que lui-même ne savait pas s’il pouvait croire sa mémoire. Tout ce qui remontait à avant son éveil de la pierre était confus, mêlé ou tout simplement perdu dans les limbes.

La suite des événements firent paniquer le seigneur des orages. Il ne comprit pas ce qui se passait quand il fut pris dans l’illusion du Zoroark déguisé, il ne pouvait que subir les effets de la farce du polymorfox. Il passa de ce visage à la balafre à un enfer de flammes et de cendre. L’incendie reprenait ! La chaleur des flammes et l’air étouffant qui lui avait brûlé les poumons avant de rôtir sa chair ! C’en était trop pour le brave légendaire qui se mit à hurler d’une terreur frénétique, envoyant des décharges de foudre sur les flammes imaginaires, frappant les restes de boiserie qu’il voyait consumées par le feu. Il tempêta pendant une partie de l’illusion, paniquant, évitant de toucher les sources de brûlures inventées de toute pièce par le renard des ténèbres. Il continua de décharger une folie électrique avant de se recroqueviller dans un coin de la Tour Cendrée, tremblant comme un mouton venant de naître, il venait de se rappeler sa mort horrible, prisonnier dans la tour, enfermé dans un cercueil enflammé… Il posa sa tête entre ses pattes antérieures et ferma les yeux en tremblant, priant pour que ça s’arrête.

« Arrêtez-ça, non, pitié, plus de feu, arrêtez les flammes… Je ne veux pas brûler… Je ne veux pas brûler… »

Il resta prostré dans sa position de protection et de refus de voir la fin jusqu’à ce que le faut Suicune ne se rapproche et reprenne la parole, le faisant frissonner de plus belle.

« Je ne veux plus de tout ça, je veux vivre libre… Les humains ont été la cause de toute ma souffrance, uniquement parce que je leur ai fait confiance. Si je n’avais jamais eut à garder cette Tour, Jamais je n’aurais eut à mourir… Jamais je n’aurais eu à brûler… » Il releva la tête et montra une expression d’hébétude couplée à de l’incompréhension. « Enteï a trahi notre cause ? J’ai perdu l’esprit ? De quelles illusions parles-tu ? De quels choix ? Je… Je ne comprends pas… Qu’as-tu découvert que je ne sache pas ? Dis-moi ! »

Il se redressa soudainement et se figea devant son alter-ego illusoire, oubliant les flammes destructrices qui semblèrent disparaître aussi vite qu’elles étaient venues. Il ne s’en préoccupa guère plus, obsédé qu’il l’était maintenant par le visage de Suicune, et par cette affreuse cicatrice qui barrait son œil gauche. Il plissa les paupières et sa voix troublée se fit entendre une nouvelle fois.

« Que sais-tu que j’ignore encore ! Et… Que… Comment as-tu reçu cette horrible blessure ? Tu as affronté les humains ? »

Ça pour être complètement à la ramasse il l’était, Raikou était bien largué ! Il ne comprenait pas ce qui se passait autour de lui ni ce qui avait déclenché l’incendie qui l’avait fait craquer… Il ne savait pas quoi penser, tout ce qu’il voulait c’était obtenir des réponses de la part de Suicune.

Je sens que je faisais un effet dévastateur sur Raikou... le pauvre était terrifié. Je devais avoir touché le point sensible. Je devrais éviter de trop enfoncer ce dit point... si je le rends fou, je risque des soucis. vu qu'en plus il a déjà essayé de se défendre de mes illusions avec acharnement...

Nous aimerions tous vivre libres. Et jamais je n'ai dit qu'Entei les a rejoints. Je ne sais même pas ce qu'il devient. J'ai dit que PEUT-ÊTRE il est des leurs... par là, j'entends la capture. Tu as beau être légendaire, tu dois garder à l'esprit qu'un humain pourra toujours finir par te capturer. Et ta rareté, que dis-je, ton statut unique... n'est qu'une raison de plus à motiver certains humains pour t'approprier. Ne sais-tu pas que d'autres légendaires ont essuyé des tentatives d'asservissement...? Dont certaines ont réussi pour un temps ?

Que les humains ont été la cause de sa souffrance... que sans eux, il n'aurait pas brûlé. Je crois que... c'était à mon tour de me faire assaillir par mon passé. Les flammes... des humains... un scénario semblable. Sauf que je n'ai pas rejoint la mort. Et nul légendaire n'a eu à me faire revenir.

Ma... blessure... non. Pas des humains...

Des flammes apparurent sans raison puis disparurent juste après, grésillantes. Mon passé s'embrouillait, faisant foirer mes illusions, qui se déclenchaient un peu à tout va en rapport avec celui-ci. La souffrance de mon propre passé interférait. Et cela se voyait aussi sur mon visage. Ma cicatrice luisit légèrement de rouge, un peu comme un joyau. C'était le symbole que l'origine de cette blessure me refaisait souffrir. Quand sa propre mère nous inflige ça pour nous empêcher de l'empêcher de se sacrifier pour nous... c'est extrêmement marquant.

Les... humains... les flammes... le canon... le courant qui m'emporte... hmph... ça fait... mal...

Un flot très rapide d'illusions issues de mon passé envahirent les lieux, de manière presque incompréhensible. Ma douleur commençait à monter. Si ça continuait, mon illusion de Suicune allait se briser...